I'm a storyteller. That's what I do in life -- telling stories, writing novels -- and today I would like to tell you a few stories about the art of storytelling and also some supernatural creatures called the djinni. But before I go there, please allow me to share with you glimpses of my personal story. I will do so with the help of words, of course, but also a geometrical shape, the circle, so throughout my talk, you will come across several circles.
Je suis une conteuse. C'est ce que je fais dans la vie - je raconte des histoires, j'écris des romans. Et aujourd'hui, je voudrais vous raconter quelques histoires sur l'art du conte et aussi sur quelques créatures surnaturelles appelé les djinns. Mais avant ça, permettez-moi s'il vous plaît de partager avec vous un aperçu de mon histoire personnelle. Je vais le faire à l'aide de mots, bien sûr, mais aussi d'une forme géométrique, le cercle. Ainsi, tout au long de ma présentation, vous rencontrerez plusieurs cercles.
I was born in Strasbourg, France to Turkish parents. Shortly after, my parents got separated, and I came to Turkey with my mom. From then on, I was raised as a single child by a single mother. Now in the early 1970s, in Ankara, that was a bit unusual. Our neighborhood was full of large families, where fathers were the heads of households, so I grew up seeing my mother as a divorcee in a patriarchal environment. In fact, I grew up observing two different kinds of womanhood. On the one hand was my mother, a well-educated, secular, modern, westernized, Turkish woman. On the other hand was my grandmother, who also took care of me and was more spiritual, less educated and definitely less rational. This was a woman who read coffee grounds to see the future and melted lead into mysterious shapes to fend off the evil eye.
Je suis née à Strasbourg, en France de parents turcs. Peu de temps après, mes parents se sont séparés, et je suis venue en Turquie avec ma mère. A partir de là, j'ai été élevée en tant qu'enfant unique par une mère célibataire. Or, au début des années 1970, à Ankara, c'était un peu inhabituel. Notre quartier était plein de grandes familles, où les pères étaient les chefs du foyer. J'ai donc grandi en voyant ma mère comme une femme divorcée dans un environnement patriarcal. En fait, j'ai grandi en observant deux types différents de féminité. D'une part, il y avait ma mère, une femme turque bien éduquée, laïque, moderne, occidentalisée. D'autre part ma grand-mère, qui a également pris soin de moi elle était plus spirituelle, moins instruite et certainement moins rationnelle. C'était une femme qui lisait dans le marc de café pour voir l'avenir et fondait du plomb pour obtenir des formes mystérieuses afin de repousser le mauvais œil.
Many people visited my grandmother, people with severe acne on their faces or warts on their hands. Each time, my grandmother would utter some words in Arabic, take a red apple and stab it with as many rose thorns as the number of warts she wanted to remove. Then one by one, she would encircle these thorns with dark ink. A week later, the patient would come back for a follow-up examination. Now, I'm aware that I should not be saying such things in front of an audience of scholars and scientists, but the truth is, of all the people who visited my grandmother for their skin conditions, I did not see anyone go back unhappy or unhealed. I asked her how she did this. Was it the power of praying? In response she said, "Yes, praying is effective, but also beware of the power of circles."
Beaucoup de personnes rendaient visite à ma grand-mère, des personnes avec une forte acné sur le visage ou des verrues sur les mains. Chaque fois, ma grand-mère prononçait quelques mots en arabe, prenait une pomme rouge et la piquait avec autant d'épines de rose que le nombre de verrues qu'elle voulait supprimer. Puis, une par une, elle entourait ces épines à l'encre noire. Une semaine plus tard, le patient revenait pour un examen de contrôle. Bon, je sais que je ne devrais pas dire des choses pareilles devant un public de chercheurs et de scientifiques, mais en vérité, de toutes les personnes qui ont rendu visite à ma grand-mère pour leurs problèmes de peau, je n'ai vu personne revenir malheureux ou non guéri. Je lui ai demandé comment elle faisait. Était-ce la puissance de la prière? Elle m'a répondu : "Oui, la prière est efficace. Mais aussi il faut se méfier de la puissance des cercles. "
From her, I learned, amongst many other things, one very precious lesson -- that if you want to destroy something in this life, be it an acne, a blemish or the human soul, all you need to do is to surround it with thick walls. It will dry up inside. Now we all live in some kind of a social and cultural circle. We all do. We're born into a certain family, nation, class. But if we have no connection whatsoever with the worlds beyond the one we take for granted, then we too run the risk of drying up inside. Our imagination might shrink; our hearts might dwindle, and our humanness might wither if we stay for too long inside our cultural cocoons. Our friends, neighbors, colleagues, family -- if all the people in our inner circle resemble us, it means we are surrounded with our mirror image.
D'elle, j'ai appris, entre autres choses, une leçon très précieuse. Que si vous voulez détruire quelque chose dans cette vie, qu'il s'agisse d'une acné, d'une tache ou de l'âme humaine, tout ce que vous avez à faire est de l'entourer de murs épais. Elle se dessèchera de l'intérieur. Nous vivons tous dans une sorte de cercle social et culturel. C'est un fait. Nous sommes nés dans une certaine famille, une nation, une classe. Mais si nous n'avons aucun lien d'aucune sorte avec les mondes au-delà de celui que nous tenons pour acquis, Alors nous courons aussi le risque de nous dessécher de l'intérieur. Notre imagination peut se rétrécir. Nos cœurs peuvent rapetisser. Et notre humanité peut se flétrir si nous restons trop longtemps à l'intérieur de notre cocon culturel. Nos amis, nos voisins, nos collègues, notre famille - si tous les gens de notre entourage nous ressemblent, cela signifie que nous sommes entourés de notre image dans un miroir.
Now one other thing women like my grandma do in Turkey is to cover mirrors with velvet or to hang them on the walls with their backs facing out. It's an old Eastern tradition based on the knowledge that it's not healthy for a human being to spend too much time staring at his own reflection. Ironically, [living in] communities of the like-minded is one of the greatest dangers of today's globalized world. And it's happening everywhere, among liberals and conservatives, agnostics and believers, the rich and the poor, East and West alike. We tend to form clusters based on similarity, and then we produce stereotypes about other clusters of people. In my opinion, one way of transcending these cultural ghettos is through the art of storytelling. Stories cannot demolish frontiers, but they can punch holes in our mental walls. And through those holes, we can get a glimpse of the other, and sometimes even like what we see.
Une autre chose que font les femmes comme ma grand-mère en Turquie c'est de couvrir les miroirs de velours ou de les accrocher aux murs, le dos vers l'extérieur. C'est une vieille tradition orientale basée sur la connaissance qu'il n'est pas sain pour un être humain de passer trop de temps à contempler son propre reflet. Ironie du sort, les communautés de gens d'esprit semblable représentent l'un des plus grands dangers de notre univers mondialisé d'aujourd'hui. Et cela se passe partout, chez les libéraux et les conservateurs, les agnostiques et les croyants, les riches et les pauvres, en Orient comme en Occident. Nous avons tendance à former des groupes fondés sur la similitude, et puis nous produisons des stéréotypes au sujet d'autres groupes de personnes. À mon avis, une façon de transcender ces ghettos culturels passe par l'art du conte. Les histoires ne peuvent pas démolir les frontières, mais elles peuvent percer des trous dans nos murs mentaux. Et à travers ces trous, nous pouvons avoir un aperçu de l'autre, et parfois même aimer ce que nous voyons.
I started writing fiction at the age of eight. My mother came home one day with a turquoise notebook and asked me if I'd be interested in keeping a personal journal. In retrospect, I think she was slightly worried about my sanity. I was constantly telling stories at home, which was good, except I told this to imaginary friends around me, which was not so good. I was an introverted child, to the point of communicating with colored crayons and apologizing to objects when I bumped into them, so my mother thought it might do me good to write down my day-to-day experiences and emotions. What she didn't know was that I thought my life was terribly boring, and the last thing I wanted to do was to write about myself. Instead, I began to write about people other than me and things that never really happened. And thus began my life-long passion for writing fiction. So from the very beginning, fiction for me was less of an autobiographical manifestation than a transcendental journey into other lives, other possibilities. And please bear with me: I'll draw a circle and come back to this point.
J'ai commencé à écrire de la fiction à l'âge de huit ans. Ma mère est venue la maison un jour avec un carnet turquoise et m'a demandé si ça me plairait de tenir un journal intime. Rétrospectivement, je pense qu'elle était un peu inquiète quant à ma santé mentale. Je racontais sans cesse des histoires à la maison, ce qui était une bonne chose, sauf que je les racontais à des amis imaginaires autour de moi, ce qui n'était pas si bien. J'étais une enfant introvertie au point de communiquer avec les crayons de couleur et de présenter des excuses à des objets quand je les heurtais. Donc, ma mère a pensé que ça pourrait me faire du bien d'écrire mes expériences et mes émotions au jour le jour. Ce qu'elle ne savait pas c'est que je pensais que ma vie était terriblement ennuyeuse, et que la dernière chose que je voulais faire était d'écrire sur moi-même. Au lieu de cela, j'ai commencé à écrire sur d'autres personnes que moi et les choses qui ne s'étaient jamais vraiment passées. Et ainsi a commencé ma passion de toute une vie pour l'écriture de fiction. Ainsi, dès le début, la fiction pour moi était moins une manifestation autobiographique qu'un voyage transcendantal dans d'autres vies, d'autres possibilités. Soyez patients, s'il vous plaît. Je vais dessiner un cercle et revenir à ce point.
Now one other thing happened around this same time. My mother became a diplomat. So from this small, superstitious, middle-class neighborhood of my grandmother, I was zoomed into this posh, international school [in Madrid], where I was the only Turk. It was here that I had my first encounter with what I call the "representative foreigner." In our classroom, there were children from all nationalities, yet this diversity did not necessarily lead to a cosmopolitan, egalitarian classroom democracy. Instead, it generated an atmosphere in which each child was seen -- not as an individual on his own, but as the representative of something larger. We were like a miniature United Nations, which was fun, except whenever something negative, with regards to a nation or a religion, took place. The child who represented it was mocked, ridiculed and bullied endlessly. And I should know, because during the time I attended that school, a military takeover happened in my country, a gunman of my nationality nearly killed the Pope, and Turkey got zero points in [the] Eurovision Song Contest. (Laughter)
Maintenant une autre chose s'est passée à la même époque. Ma mère est devenue diplomate. Donc, de ce petit quartier où vivait ma grand-mère, superstitieux, de classe moyenne j'ai été propulsée dans cette école chic, internationale, [à Madrid] où j'étais la seule Turque. C'est là que j'ai eu ma première rencontre avec ce que j'appelle l'étranger "représentatif". Dans notre classe, il y avait des enfants de toutes nationalités. Pourtant, cette diversité ne conduisait pas nécessairement à une démocratie scolaire cosmopolite et égalitaire. Au lieu de cela, elle générait une atmosphère dans laquelle chaque enfant était perçu non pas comme un individu isolé mais comme le représentant de quelque chose de plus grand. Nous étions une sorte de Nations Unies en miniature, ce qui était amusant, sauf lorsque quelque chose de négatif en rapport avec une nation ou une religion survenait. L'enfant qui la représentait était l'objet de moqueries, ridiculisé et victime d'intimidations à l'infini. Et je suis bien placée pour le savoir, car pendant que j'étais à cette école, il y a eu un coup d'état militaire dans mon pays, un homme armé, de ma nationalité, a failli tuer le pape, et la Turquie a obtenu zéro points à l'Eurovision. (Rires)
I skipped school often and dreamed of becoming a sailor during those days. I also had my first taste of cultural stereotypes there. The other children asked me about the movie "Midnight Express," which I had not seen; they inquired how many cigarettes a day I smoked, because they thought all Turks were heavy smokers, and they wondered at what age I would start covering my hair. I came to learn that these were the three main stereotypes about my country: politics, cigarettes and the veil. After Spain, we went to Jordan, Germany and Ankara again. Everywhere I went, I felt like my imagination was the only suitcase I could take with me. Stories gave me a sense of center, continuity and coherence, the three big Cs that I otherwise lacked.
J'ai souvent fait l'école buissonnière et rêvé de devenir marin durant ces journées. C'est là aussi que j'ai aussi eu mon premier aperçu des stéréotypes culturels. Les autres enfants m'ont questionné sur le film "Midnight Express", que je n'avais pas vu. Ils ont demandé combien de cigarettes par jour je fumais, parce qu'ils croyaient que tous les Turcs étaient de gros fumeurs. Et ils se demandaient à quel âge je commencererais à couvrir mes cheveux. J'ai fini par apprendre qu'il s'agissait des trois principaux stéréotypes au sujet de mon pays, la politique, les cigarettes et le voile. Après l'Espagne, nous sommes allés en Jordanie, en Allemagne et à Ankara à nouveau. Partout où j'allais,j'avais l'impression que mon imagination était la seule valise que je pouvais prendre avec moi. Les histoires m'ont donné un sentiment de centrage, de continuité et de cohérence, les trois grands Cs qui me manquaient autrement.
In my mid-twenties, I moved to Istanbul, the city I adore. I lived in a very vibrant, diverse neighborhood where I wrote several of my novels. I was in Istanbul when the earthquake hit in 1999. When I ran out of the building at three in the morning, I saw something that stopped me in my tracks. There was the local grocer there -- a grumpy, old man who didn't sell alcohol and didn't speak to marginals. He was sitting next to a transvestite with a long black wig and mascara running down her cheeks. I watched the man open a pack of cigarettes with trembling hands and offer one to her, and that is the image of the night of the earthquake in my mind today -- a conservative grocer and a crying transvestite smoking together on the sidewalk. In the face of death and destruction, our mundane differences evaporated, and we all became one even if for a few hours. But I've always believed that stories, too, have a similar effect on us. I'm not saying that fiction has the magnitude of an earthquake, but when we are reading a good novel, we leave our small, cozy apartments behind, go out into the night alone and start getting to know people we had never met before and perhaps had even been biased against.
Vers 25 ans, j'ai déménagé à Istanbul, la ville que j'adore. J'ai vécu dans un quartier très dynamique, diversifié où j'ai écrit plusieurs de mes romans. J'étais à Istanbul lors du tremblement de terre en 1999. Lorsque j'ai couru hors du bâtiment à trois heures du matin, j'ai vu quelque chose qui m'a fait m'arrêter net. Il y avait là l'épicier du coin - un vieil homme grincheux qui ne vendait pas d'alcool et n'adressait pas la parole aux marginaux. Il était assis à côté d'un travesti avec une longue perruque noire et du mascara qui lui coulait sur les joues. J'ai observé l'homme ouvrir un paquet de cigarettes les mains tremblantes, et lui en offrir une. Et c'est l'image de la nuit du tremblement de terre dans mon esprit aujourd'hui - un épicier conservateur et un travesti en larmes fumant ensemble sur le trottoir. En face de la mort et la destruction les différences ordinaires s'étaient évaporées, et nous étions tous devenus un même pour quelques heures seulement. Mais j'ai toujours cru que les histoires nous font aussi un effet semblable. Je ne dis pas que la fiction a la magnitude d'un tremblement de terre. Mais quand nous lisons un bon roman, nous laissons nos petits appartements confortables derrière nous, nous sortons dans la nuit et commençons à connaître des gens que nous n'avions jamais rencontré auparavant et peut-être même envers qui nous avions des préjugés.
Shortly after, I went to a women's college in Boston, then Michigan. I experienced this, not so much as a geographical shift, as a linguistic one. I started writing fiction in English. I'm not an immigrant, refugee or exile -- they ask me why I do this -- but the commute between languages gives me the chance to recreate myself. I love writing in Turkish, which to me is very poetic and very emotional, and I love writing in English, which to me is very mathematical and cerebral. So I feel connected to each language in a different way. For me, like millions of other people around the world today, English is an acquired language. When you're a latecomer to a language, what happens is you live there with a continuous and perpetual frustration. As latecomers, we always want to say more, you know, crack better jokes, say better things, but we end up saying less because there's a gap between the mind and the tongue. And that gap is very intimidating. But if we manage not to be frightened by it, it's also stimulating. And this is what I discovered in Boston -- that frustration was very stimulating.
Peu de temps après, je suis allée dans une université pour femmes de Boston, puis au Michigan. Je l'ai vécu, non pas tant comme un déplacement géographique, que comme un changement linguistique. J'ai commencé à écrire de la fiction en anglais. Je ne suis pas une immigrée, une réfugiée ou une exilée. On me demande pourquoi je fais ça. Mais de passer d'une langue à l'autre me donne la chance de me recréer. J'adore écrire en turc, qui pour moi est très poétique et très émouvant. Et j'aime écrire en anglais, qui me semble très mathématique et cérébral. Je suis donc connectée à chaque langue d'une manière différente. Pour moi, comme pour des millions d'autres personnes partout dans le monde d'aujourd'hui, l'anglais est une langue apprise. Lorsque vous apprenez une langue sur le tard, ce qui se passe est que vous y vivez avec une constante et perpétuelle frustration. Comme les retardataires, nous voulons toujours en dire plus, vous voyez, faire de meilleures plaisanteries, mieux dire les choses. Mais on finit par dire moins parce qu'il y a un écart entre l'esprit et la langue. Et cet écart est très intimidant. Mais si nous parvenons à ne pas en avoir peur, c'est aussi stimulant. Et c'est ce que j'ai découvert à Boston - que la frustration était très stimulante.
At this stage, my grandmother, who had been watching the course of my life with increasing anxiety, started to include in her daily prayers that I urgently get married so that I could settle down once and for all. And because God loves her, I did get married. (Laughter) But instead of settling down, I went to Arizona. And since my husband is in Istanbul, I started commuting between Arizona and Istanbul -- the two places on the surface of earth that couldn't be more different. I guess one part of me has always been a nomad, physically and spiritually. Stories accompany me, keeping my pieces and memories together, like an existential glue.
A ce stade, ma grand-mère, qui avait observé le cours de ma vie avec une anxiété croissante, a commencé à inclure dans ses prières quotidiennes que je me marie vite pour que je puisse m'installer une fois pour toutes. Et parce que Dieu l'aime, je me suis mariée. (Rires) Mais au lieu de m'installer, je suis allée en Arizona. Et comme mon mari se trouve à Istanbul, j'ai commencé à faire la navette entre l'Arizona et Istanbul. Les deux endroits à la surface de la terre qui ne pouvait pas être plus différents. Je suppose qu'une partie de moi a toujours été nomade, physiquement et spirituellement. Les histoires m'accompagnent, maintiennent mon unité et mes souvenirs, comme une colle existentielle.
Yet as much as I love stories, recently, I've also begun to think that they lose their magic if and when a story is seen as more than a story. And this is a subject that I would love to think about together. When my first novel written in English came out in America, I heard an interesting remark from a literary critic. "I liked your book," he said, "but I wish you had written it differently." (Laughter) I asked him what he meant by that. He said, "Well, look at it. There's so many Spanish, American, Hispanic characters in it, but there's only one Turkish character and it's a man." Now the novel took place on a university campus in Boston, so to me, it was normal that there be more international characters in it than Turkish characters, but I understood what my critic was looking for. And I also understood that I would keep disappointing him. He wanted to see the manifestation of my identity. He was looking for a Turkish woman in the book because I happened to be one.
Pourtant, autant j'adore les histoires, récemment, j'ai également commencé à penser qu'elles perdaient leur magie si et quand une histoire est considérée comme plus qu'une histoire. Et c'est un sujet auquel j'aimerais que nous réfléchissions ensemble. Quand mon premier roman écrit en anglais est sorti en Amérique, j'ai entendu une remarque intéressante d'un critique littéraire. "J'ai aimé votre livre", dit-il, "mais j'aurais aimé que vous l'ayez écrit différemment. " (Rires) Je lui ai demandé ce qu'il entendait par là. Il a dit: "Eh bien, regardez-le. Il y a tellement d'Espagnols, d'Américains, d'Hispaniques, parmi les personnages mais il n'y a qu'un seul Turc et c'est un homme. " En fait, le roman se passe sur un campus de l'Université de Boston, Donc, pour moi, il était normal qu'il y ait plus de personnages internationaux que de Turcs. Mais j'ai compris que ce critique recherchait. Et j'ai compris aussi que je continuerai à le décevoir. Il voulait voir la manifestation de mon identité. Il était à la recherche d'une femme turque dans le livre parce qu'il se trouve que j'en suis une.
We often talk about how stories change the world, but we should also see how the world of identity politics affects the way stories are being circulated, read and reviewed. Many authors feel this pressure, but non-Western authors feel it more heavily. If you're a woman writer from the Muslim world, like me, then you are expected to write the stories of Muslim women and, preferably, the unhappy stories of unhappy Muslim women. You're expected to write informative, poignant and characteristic stories and leave the experimental and avant-garde to your Western colleagues. What I experienced as a child in that school in Madrid is happening in the literary world today. Writers are not seen as creative individuals on their own, but as the representatives of their respective cultures: a few authors from China, a few from Turkey, a few from Nigeria. We're all thought to have something very distinctive, if not peculiar.
Nous parlons souvent de la façon dont les histoires changent le monde. Mais nous devons voir comment le monde de la politique identitaire a des effets sur la façon dont les histoires sont diffusées, lues et revues. De nombreux auteurs sentent cette pression, mais les auteurs non-occidentaux la ressentent plus fortement. Si vous êtes une femme écrivain du monde musulman, comme moi, alors on s'attend à ce que vous écriviez les histoires de femmes musulmanes et, de préférence, des histoires malheureuses de femmes musulmanes malheureuses. On s'attend à ce que vous écriviez des histoires informatives, poignantes et caractéristiques et que vous laissiez les histoires expérimentales et avant-gardistes à vos collègues occidentaux. Ce que j'ai vécu enfant dans cette école à Madrid se passe dans le monde littéraire d'aujourd'hui. Les écrivains ne sont pas considérés comme des individus créatifs isolés, mais comme les représentants de leurs cultures respectives. Quelques auteurs en provenance de Chine, quelques-uns de la Turquie, quelques-uns en provenance du Nigeria. On nous perçoit tous comme ayant quelque chose de très particulier, voire étrange.
The writer and commuter James Baldwin gave an interview in 1984 in which he was repeatedly asked about his homosexuality. When the interviewer tried to pigeonhole him as a gay writer, Baldwin stopped and said, "But don't you see? There's nothing in me that is not in everybody else, and nothing in everybody else that is not in me." When identity politics tries to put labels on us, it is our freedom of imagination that is in danger. There's a fuzzy category called multicultural literature in which all authors from outside the Western world are lumped together. I never forget my first multicultural reading, in Harvard Square about 10 years ago. We were three writers, one from the Philippines, one Turkish and one Indonesian -- like a joke, you know. (Laughter) And the reason why we were brought together was not because we shared an artistic style or a literary taste. It was only because of our passports. Multicultural writers are expected to tell real stories, not so much the imaginary. A function is attributed to fiction. In this way, not only the writers themselves, but also their fictional characters become the representatives of something larger.
L'écrivain James Baldwin, qui a vécu entre deux pays, a donné un entretien en 1984 dans laquelle on l'a questionné à plusieurs reprises au sujet de son homosexualité. Lorsque l'intervieweur a essayé de le classer comme un écrivain gay, Baldwin s'est arrêté et a dit: "Mais ne voyez-vous pas? Il n'y a rien en moi qui ne soit pas dans tout le monde, et rien dans tout le monde qui ne soit pas en moi. " Lorsque la politique identitaire tente de nous mettre des étiquettes, c'est notre liberté d'imagination qui est en danger. Il y a une catégorie floue appelé littérature multiculturelle dans laquelle tous les auteurs n'appartenant pas au monde occidental sont regroupés. Je n'oublierai jamais ma première lecture multiculturelle, à Harvard Square y a environ 10 ans. Nous étions trois écrivains, l'un en provenance des Philippines, une Turque et un d'Indonésie - comme une plaisanterie, vous savez. (Rires) Et la raison pour laquelle on nous avait rassemblés n'était pas parce que nous partagions un style artistique ou un goût littéraire. C'était seulement à cause de nos passeports. Des écrivains multiculturels sont supposés raconter des histoires vraies, pas tellement de l'imaginaire. La fiction se voit attribuer une fonction. De cette façon, non seulement les écrivains eux-mêmes, mais aussi leurs personnages fictifs deviennent les représentants de quelque chose de plus grand.
But I must quickly add that this tendency to see a story as more than a story does not solely come from the West. It comes from everywhere. And I experienced this firsthand when I was put on trial in 2005 for the words my fictional characters uttered in a novel. I had intended to write a constructive, multi-layered novel about an Armenian and a Turkish family through the eyes of women. My micro story became a macro issue when I was prosecuted. Some people criticized, others praised me for writing about the Turkish-Armenian conflict. But there were times when I wanted to remind both sides that this was fiction. It was just a story. And when I say, "just a story," I'm not trying to belittle my work. I want to love and celebrate fiction for what it is, not as a means to an end.
Mais je dois ajouter sans tarder que cette tendance à voir une histoire comme plus qu'une histoire ne vient pas seulement de l'Occident. Elle vient de partout. Et j'ai vécu cela moi-même quand on m'a assignée en justice en 2005 pour les paroles prononcées par mes personnages de fiction dans un roman. J'avais voulu écrire un roman constructif, à multiples niveaux à propos d'un Arménien et d'une famille turque à travers les yeux des femmes. Ma micro histoire est devenu un macro problème quand j'étais poursuivie. Certains m'ont critiquée, d'autres ont fait mon éloge pour avoir écrit sur le conflit entre l'Arménie et la Turquie. Mais il y avait des moments où j'ai voulu rappeler aux deux parties que c'était de la fiction. C'était juste une histoire. Et quand je dis, "juste une histoire", Je ne cherche pas à déprécier mon travail. Je veux aimer et célébrer la fiction pour ce qu'elle est, pas comme un moyen d'atteindre un but.
Writers are entitled to their political opinions, and there are good political novels out there, but the language of fiction is not the language of daily politics. Chekhov said, "The solution to a problem and the correct way of posing the question are two completely separate things. And only the latter is an artist's responsibility." Identity politics divides us. Fiction connects. One is interested in sweeping generalizations. The other, in nuances. One draws boundaries. The other recognizes no frontiers. Identity politics is made of solid bricks. Fiction is flowing water.
Les écrivains ont droit à leurs opinions politiques, et il y a de bons romans politiques qui circulent, mais le langage de la fiction n'est pas la langue de la politique quotidienne. Tchekhov a dit, "La solution à un problème et la manière correcte de poser la question sont deux choses totalement distinctes. Et seule la deuxième relève de la responsabilité d'un artiste. " La politique identitaire nous divise. La fiction nous relie. L'une s'intéresse à des généralisations à l'emporte-pièce. L'autre, aux nuances. L'une dessine des frontières. L'autre ne connaît pas de frontières. La politique identitaire est faite de briques pleines. La fiction est de l'eau vive.
In the Ottoman times, there were itinerant storytellers called "meddah." They would go to coffee houses, where they would tell a story in front of an audience, often improvising. With each new person in the story, the meddah would change his voice, impersonating that character. Everybody could go and listen, you know -- ordinary people, even the sultan, Muslims and non-Muslims. Stories cut across all boundaries, like "The Tales of Nasreddin Hodja," which were very popular throughout the Middle East, North Africa, the Balkans and Asia. Today, stories continue to transcend borders. When Palestinian and Israeli politicians talk, they usually don't listen to each other, but a Palestinian reader still reads a novel by a Jewish author, and vice versa, connecting and empathizing with the narrator. Literature has to take us beyond. If it cannot take us there, it is not good literature.
A l'époque ottomane, il y avait des conteurs itinérants appelés les meddah. Ils allaient dans des cafés, où ils racontaient une histoire devant un auditoire, en improvisant souvent. Avec chaque nouvelle personne dans l'histoire, le conteur changeait sa voix, imitant ce personnage. Tout le monde pouvait aller écouter, vous voyez - des gens ordinaires, même le sultan, les musulmans et les non-musulmans. Les histoires passent à travers toutes les frontières. Comme "Les contes de Nasreddin Hodja", qui étaient très populaires à travers le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, les Balkans et en Asie. Aujourd'hui, les histoires continuent de transcender les frontières. Quand les hommes politiques palestiniens et israéliens parlent, ils ne s'écoutent généralement pas les uns les autres. Mais un lecteur palestinien lit encore un roman d'un auteur juif, et vice versa, et établit une relation d'empathie avec le narrateur. La littérature doit nous emmener plus loin. Si elle ne peut nous y conduire, ce n'est pas de la bonne littérature.
Books have saved the introverted, timid child that I was -- that I once was. But I'm also aware of the danger of fetishizing them. When the poet and mystic, Rumi, met his spiritual companion, Shams of Tabriz, one of the first things the latter did was to toss Rumi's books into water and watch the letters dissolve. The Sufis say, "Knowledge that takes you not beyond yourself is far worse than ignorance." The problem with today's cultural ghettos is not lack of knowledge -- we know a lot about each other, or so we think -- but knowledge that takes us not beyond ourselves: it makes us elitist, distant and disconnected. There's a metaphor which I love: living like a drawing compass. As you know, one leg of the compass is static, rooted in a place. Meanwhile, the other leg draws a wide circle, constantly moving. Like that, my fiction as well. One part of it is rooted in Istanbul, with strong Turkish roots, but the other part travels the world, connecting to different cultures. In that sense, I like to think of my fiction as both local and universal, both from here and everywhere.
Les livres ont sauvé l'enfant introvertie, et timide que j'étais - que je fus. Mais je suis également consciente du danger de les fétichiser. Quand le poète et mystique, Rumi, a rencontré son compagnon spirituel, Shams-i-Tabriz, l'une des premières choses que celui-ci a faite fut de jeter les livres de Rumi dans l'eau et de regarder les lettres se dissoudre. Les soufis disent, "La connaissance qui ne vous emmène pas au delà de vous-même est bien pire que l'ignorance. " Le problème avec les ghettos culturels d'aujourd'hui n'est pas le manque de connaissances. Nous savons beaucoup de choses sur l'autre, ou nous le croyons. Mais la connaissance qui ne nous emmène pas au delà de vous-même, nous rend élitistes, distants et isolés. Il y a une métaphore que j'aime : vivre comme un compas. Comme vous le savez, une jambe du compas est ancrée dans un lieu. Pendant ce temps, l'autre jambe toujours en mouvement, dessine un large cercle. Comme ça, ma fiction fait de même. Une partie en est enracinée dans Istanbul avec de fortes racines turques. Mais l'autre partie parcourt le monde, en se reliant à différentes cultures. En ce sens, je me plais à penser que ma fiction est à la fois locale et universelle, à la fois d'ici et partout.
Now those of you who have been to Istanbul have probably seen Topkapi Palace, which was the residence of Ottoman sultans for more than 400 years. In the palace, just outside the quarters of the favorite concubines, there's an area called The Gathering Place of the Djinn. It's between buildings. I'm intrigued by this concept. We usually distrust those areas that fall in between things. We see them as the domain of supernatural creatures like the djinn, who are made of smokeless fire and are the symbol of elusiveness. But my point is perhaps that elusive space is what writers and artists need most. When I write fiction I cherish elusiveness and changeability. I like not knowing what will happen 10 pages later. I like it when my characters surprise me. I might write about a Muslim woman in one novel, and perhaps it will be a very happy story, and in my next book, I might write about a handsome, gay professor in Norway. As long as it comes from our hearts, we can write about anything and everything.
Ceux d'entre vous qui ont été à Istanbul avez probablement vu le palais de Topkapi, qui fut la résidence des sultans ottomans pendant plus de 400 ans. Dans le palais, juste à l'extérieur des quartiers des concubines préférées, il y a un endroit appelé le point de rassemblement des djinns. C'est entre les bâtiments. Ce concept m'intrigue. En général, nous nous méfions de ces zones qui tombent entre les choses. Nous les voyons comme le domaine des créatures surnaturelles comme les djinns, qui sont faites de feu sans fumée et sont le symbole de la fugacité. Mais ce que je veux dire est peut-être que cet espace insaisissable est ce dont les écrivains et les artistes ont le plus besoin. Quand j'écris de la fiction je chéris la fugacité et la capacité de changement. J'aime ne pas savoir ce qui arrivera 10 pages plus tard. J'aime bien quand mes personnages me surprennent. Je pourrais écrire sur une femme musulmane dans un roman. Et ce sera peut-être une histoire très heureuse. Et dans mon prochain livre, je pourrais écrire sur un beau professeur gay en Norvège. Tant que ça vient de nos cœurs, on peut écrire sur tout et n'importe quoi.
Audre Lorde once said, "The white fathers taught us to say, 'I think, therefore I am.'" She suggested, "I feel, therefore I am free." I think it was a wonderful paradigm shift. And yet, why is it that, in creative writing courses today, the very first thing we teach students is "write what you know"? Perhaps that's not the right way to start at all. Imaginative literature is not necessarily about writing who we are or what we know or what our identity is about. We should teach young people and ourselves to expand our hearts and write what we can feel. We should get out of our cultural ghetto and go visit the next one and the next.
Audre Lorde a dit une fois, "Les pères blancs nous ont appris à dire, "Je pense, donc je suis." Elle a suggéré, "Je sens, donc je suis libre." Je pense que c'est un changement de paradigme merveilleux. Et pourtant, comment se fait-il que, en cours d'écriture créative aujourd'hui, la première chose que nous enseignons aux étudiants est écrivez ce que vous savez? Peut-être que ce n'est pas du tout la bonne façon de démarrer. La littérature d'imagination ne demande pas nécessairement d'écrire qui nous sommes ou ce que nous savons ou ce qu'est notre identité. Nous devons apprendre aux jeunes et à nous-mêmes à élargir nos cœurs et écrire ce que nous pouvons nous ressentir. Nous devons sortir de notre ghetto culturel et rendre visite au suivant et au suivant.
In the end, stories move like whirling dervishes, drawing circles beyond circles. They connect all humanity, regardless of identity politics, and that is the good news. And I would like to finish with an old Sufi poem: "Come, let us be friends for once; let us make life easy on us; let us be lovers and loved ones; the earth shall be left to no one."
En fin de compte, les histoires se déplacent comme des derviches tourneurs, dessinant des cercles au-delà des cercles. Elles connectent ensemble toute l'humanité, indépendamment de la politique identitaire. Et c'est la bonne nouvelle. Et je voudrais terminer avec un vieux poème soufi. "Allons, soyons amis pour une fois; rendons-nous la vie facile ; soyons amants et aimés; la terre ne sera être laissée à personne. "
Thank you.
Merci.
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(Applaudissements)